5 - PUNKS : ANARCHISME OU ANARCHIE !

A)- PUNK ET POLITIQUE

Il y a en France une grande tradition d'édition et de presse libertaire (IRL, LE LIBERTAIRE, COURANT ALTERNATIF etc.), mais on ne parle pas de musique, encore moins de rock ; l'anarchisme hexagonal des années 80 est encore figé dans un immobilisme musical consternant ; un babacoolisme béat, entre Ferré, François Béranger, Bob Dylan, Colette Magny. La vision du rock est assez rétrograde, voire réactionnaire ("musique de petits-bourgeois"!).

En 1977 les membres du groupe anglais Crass sont anarchistes, pacifistes et... punk. Leur punk-rock est radical, ils le considèrent comme un instrument du changement social. Il faut inventer, trouver de nouvelles alternatives aux sociétés capitaliste et communiste. Les messages et luttes anti-autoritaires sont bien les mêmes qu'avant. Tous les anti : anti-fasciste, anti-raciste, anti-sexiste, anti-vivisectionniste, anti-milititariste. Moins d'apathie, plus de speed, plus d'autogestion ! On veut se donner les moyens de ce changement, se prendre en charge, créer ses propres structures, s'auto-organiser ! Il faut se réveiller. 1984 c'est de surcroît l'année du roman de George Orwell !

Dans le contexte de ces années, c'est donc une presse rock alternative importante qui émerge (on l'a déjà écrit, mais il y a démultiplication). Elle soutiendra abondamment Bérurier Noir, groupe phare et fort revendicatif. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le groupe figure en couverture du premier numéro de ON A FAIM ! (1985) avec pour sous-titre / slogan "les pays totalitaires disent tais-toi! les pays démocratiques disent cause toujours".
Le communiqué de ce numéro est assez significatif :
"1984, on s'attendait à un 1984 à la Orwell - système totalitaire et Big Brother qui cause dans le poste - et puis, l'année est passée, "moins pire" qu'on aurait pu croire, pourtant... Les contestataires se raréfient ; les prolos, conditionnés par la télé, le tiercé où les syndicats baissent l'échine ; la presse n'a plus besoin d'être muselée, elle est devenue aseptisée et aux ordres ; la contestation ne fait plus recette. Pendant ce temps, les Etats se renforcent...
Dans les années 70, les idéaux soixante-huitards, sombrant dans un militantisme magouilleur ou un babacoolisme nauséeux, en dégoûtèrent plus d'un. La crise, comme une parade à Mai 68, donna le coup de grâce.

Aujourd'hui, quelques voix se font entendre, d'autres alternatives ont repris la relève, ont repris la voix des dissidents de l'Ouest : radios vraiment libres, squatts, fanzines, punks, anars, pacifistes, etc. Parce qu'il y en a toujours, et c'est heureux, qui ne veulent pas attendre 10 000 ans pour qu'on ait tout.
ON A FAIM voudrait se situer dans cette mouvance, simplement parce qu'on a des choses à dire, et qu'on veut qu'elles soient entendues. Ca fera un journal de plus, et alors ! L'un de nos buts doit être la multiplication.
Quant à ceux qui veulent à tout prix nous coller une étiquette qu'ils aillent se faire foutre : les étiquettes ne peuvent servir qu'à nous cataloguer, ficher, embastiller...
Enfin, parce que ON A FAIM ne sera jamais un journal militant (la preuve : ce que vous tenez dans vos mains) et parce que nous ne voulons pas privilégier une forme d'expression sur une autre, envoyez vos articles, poèmes, dessins, photos, montages, musiques, fric...


kanai
KANAÏ
(Lyon/Paris)
8 numéros 84-88


KANAÏ paraît en 1984 ! Et se situe volontairement dans la démarche et la mouvance de Crass. KANAÏ traduit leurs textes, reprend leurs slogans, s'inspire de leur esthétique : la mise en page est composée de blocs de textes dactylographiés découpés puis collés sur des fonds.
En 1988 KANAÏ trouve l'étiquette anarcho-punk restrictive - et la récuse. Haine Brigade, Upright Citizens, Subhumans, DOA, Punk against Apartheid, répression / information, un dossier sur l'anarcho-punk italien, un dossier labels poussé et instructif à l'heure où " Bérurier Noir vend 30 000 disques et remplit les salles". Tout cela suscite des questionnements...
Après avoir tiré 100 exemplaires pour le n°1, KANAÏ n° 8 sortira à 1000 exemplaires.


on a faim
ON A FAIM ! - ANARCHY & MUSIK
(Saint-Etienne du Rouvray)
1 ère série : 19 numéros 85- 96
2ème série : 3 numéros 97


S'il y a un zine actif c'est bien celui-là. Fidèle au poste en onze ans d'existence, OAF ! a organisé son propre réseau : à St Etienne du Rouvray (le fanzine), Poitiers (le label), Bordeaux (les concerts), et Le Mans.
Plutôt musical au début, OAF ! s'est ouvert progressivement au théâtre, à la danse, la photographie, la bande dessinée, l'écriture. Dans ses colonnes on a beaucoup débattu, discouru, chroniqué, commenté, informé (voir la rubrique "Front News"). Les changements de format et de formule n' ont pas altéré son dynamisme.
La nouvelle série laisse présager un retour de flamme : ils ont bien toujours faim. " Ca y est, on remet ça ! En fait on ne s'est jamais arrêté depuis 1984. Mais on entend par là qu'on "revient à la base", que c'est un retour à la case départ, etc.
Le ON A FAIM ! d'avant avait connu une certaine évolution qui peut paraître logique : aller vers un bel objet, plutôt bien présenté et assez luxueux, mais... s'éloignant du projet initial. ON A FAIM ! se retrouvait vendu dans des endroits où il est agréable de se trouver, mais pas toujours là où ça vit.

L'un des buts d' ON A FAIM ! c'est de parler, et de faire parler, des groupes dont la démarche est proche de la nôtre ou nous plaît, et ce, sans s'arrêter à un style musical. Nous sommes autant à l'écoute de hardcore, que de reggae, de rap, de la techno (parfois) ou autres... Un des autres buts a toujours été de lier une démarche politique (anarchiste si possible, mais surtout antiraciste et antifasciste) à une démarche musicale qui sert de bande-son à nos révoltes. La situation actuelle n'allant pas en s'arrangeant : les frontières qui se ferment aux étrangers, le borgne qui fait des émules, la mondialisation, le libéralisme, l'exclusion... autant de sujets qui poussent à retourner au charbon." (Jean-Pierre Levaray - Novembre 96)
OAF ! : éthique, intégrité, engagement, solidarité.


alerte rouge
ALERTE ROUGE
(Paris)
5 numéros 84-85


Sous-titré "the sound of politics", "ce fanzine est un appel au peuple, à ceux qui réfléchissent plus loin que le fond de leur sac de colle (...). Nous ne sommes pas une antenne française du "socialist worker". La présence dans ce premier numéro de groupes non engagés politiquement le prouve : ceux-ci nous plaisent car ils ont su conserver l'esprit et le son de 1977 sans en garder une nostalgie bornée et stérile." 

Gauchiste, ALERTE ROUGE le tonitrue ; un gauchisme rock à la Joe Strummer, pas uniquement pour l'esthétique mais par conviction. Pas seulement pour la petite étoile rouge et les caractères cyrilliques de la Pravda, mais pour les idées, l'anti-capitalisme. ALERTE ROUGE est contre la passivité. 

ALERTE ROUGE polémique, revendique, argumente et réfléchit ; un article sur le cinéma, le cinéma militant de Jean-Marie Straub, Pasolini, Jean-Luc Godard ; surprenant dans un zine punk ! Eh bien non parce que "la rébellion ne se conçoit pas uniquement dans un contexte musical". Un article sur les Palestiniens "qui a peur de l'espoir d'un peuple ", un sur la bande dessinée : récupération et pouvoir...
On lira aussi beaucoup sur Red London, les redskins, Red Action, Nuclear Device, Single Track, Newton Neurotics, du punk-rock très clashien dites-moi !

est ce bien raisonnable
EST-CE BIEN RAISONNABLE
(Paris)
7 numéros 86-90


"Notre kultur est rebelle. Elle rassemble au delà des frontières... punk alors ? Oui mais ni le punk de ces faux rebelles d'avant hier devenus les exploiteurs d'aujourd'hui, ni le punk looké docs et crête. Oui si le punk signifie attitude novatrice, façon de penser et de vivre en rupture avec le système habituel (show-biz, presse). (...) Oui notre fanzine est politisé car dans notre société qui elle-même l'est, nous ne manquons pas de sujets pour réagir et faire réagir. (...) Nous ne visons d'ailleurs pas un public en particulier mais des gens de tous horizons pouvant se retrouver dans un certain état d'esprit." ( Edito ECBR n° 1 Avril 86)

ECBR s'intéresse très tôt au hardcore américain ; un article sur Dischord (en Décembre 86) et des interviews de Scream, DOA, Husker Du, Minutemen, SNFU, au milieu des français Laid Thenardier, les Thugs, Brigades et Verdun.
Chaque numéro est charpenté et consistant, les interviews sont plutôt longues : on laisse s'exprimer les groupes et les autres. Littérature et BD prennent une place de plus en plus grande. "Le but de ce journal était aussi de parler de culture."

Voila ce qu'on trouve au sommaire du n° 7 (le dernier n°) :
Fugazi, Daeninckx, Beatnigs, Pierre Vidal-Naquet, Chopinot, Malcom X, Billie Holliday, Art Spiegelman, Dashiell Hammet.

Déclaration posthume : "ce qui nous intéressait que ce soit dans le punk ou l'alternatif, c'était les idées autant que la musique, cet essai d'adéquation entre le fond et la forme, cette volonté d'appliquer un minimum ce qu'on disait."


calade schnikov
CALADESHNIKOV
(Villefranche)
4 numéros 87-89


Pour Eddy Basset, agitateur de CALADESHNIKOV, faire son fanzine c'est construire son combat
punk, engagé dès son entrée en punkitude : "Etre punk n'était plus le fruit d'une longue réflexion mais plutôt quelque chose de viscéral. Ma punkitude je l'ai pleinement assumée dans la vie de tous les jours (travail compris)." (Avril 87)
Son engagement, c'est un idéal, il a un sens : "l'alternatif demeure fort de tous les individus qui oeuvrent dans l'ombre. (...) Après la révérence de Bérurier Noir, les médias et big brother vont devoir se tourner ailleurs et laisser l'alternatif poursuivre son travail de fond à l'abri des regards cupides et indiscrets. La finalité n'est pas de vivre de l'alternatif mais de le réaliser sur des bases durables et sérieuses tant au niveau social, économique et politique. Beaucoup de travail en perspective, mais en espérant qu'un jour le soleil noir ne brillera pas que dans nos têtes". (Éditorial du n°4-1989)

CALADESHNIKOV a un "look" très reconnaissable ; la mise en page est d'une grande clarté, très sobre - une photo, des textes en colonne - parce que le message doit être perçu clairement. Articles, interviews et infos sont internationales : Bérurier Noir, Dazibao, Nuclear Device (France), Fura Del Baus (Espagne), Crass, Conflict (Grande Bretagne), The Ex (Pays-Bas). L'intérêt se porte surtout sur l'est et en particulier la Hongrie. Le numéro 4 c'est un split-zine (2 zines tête-bêche) "Il fait froid chez nous", le Samizdat du groupe hongrois Trottel.

Causes et luttes sont elles aussi internationales et diversifiées : végétarisme, végétalisme, défense des animaux, antipsychiatrie, rock contre Le Pen, les crimes de l'état.


soleil noir
SOLEIL NOIR
(Paris)
10 numéros 90-93


Plongeons encore une fois dans l'édito du n° 1, il est dû à Lympham JF : "pour une presse libre, c'est-à-dire libérée des contingences commerciales et culturelles, nous n'aurons pas, dans cette revue, l'hypocrisie de cacher nos convictions, nous nous référons en effet à une idéologie : l'anarchisme.
Cependant, les sujets traités concerneront plus particulièrement la culture dans laquelle nous (et beaucoup d'entre vous sans doute) baignons : celui du bouillon de culture underground. Que ce soit celui du rock, de la BD, de la SF, du roman noir, du graphisme... Ce qui ne nous empêchera pas de traiter, sous un angle différent, des sujets historiques ou ayant trait à l'actualité... Une culture souterraine existe tant bien que mal au milieu du show-business et des marchands ; nous voulons la défendre, la développer, la communiquer, la partager et l'échanger."

SOLEIL NOIR n'est pas une publication strictement et uniquement musicale ; mais son approche nous a paru significative de cet ensemble de fanzines qui paraissaient à l'époque. "Connaissez-vous beaucoup de fanzines qui vous parlent de Céline, Makhno, Norman Spinrad, Pissarro, interviewe False Prophets, Oi Polloi, Verdun, Negu Gorriak, Motorhead ?
SOLEIL NOIR est aussi émaillé de bédés. Celle qui raconte l'évangélisation de l'Amérique à partir de 1492 en laissera plus d'un songeur."
Très porté sur le roman noir, le Fantastik, la SF, la BD, Lympham JF plonge dans le vivier créatif du fanzinat pour en extraire la fine fleur des littérateurs et dessinateurs. Il se fait à l'occasion éditeur sous le nom de Baron Noir avec "Viva la révolution", recueil de nouvelles et d'illustrations avec "26 auteurs qui vous causent de leur révolution, tous plus caustiques, teigneux et lucides les uns que les autres".


Sur ce chapitre voir également MOLOTOV & CONFETTI, PIRATES & CO, MR PROPRE, ANDROZINE, APATRIDE, EL MOVIMIENTO, LE PIED AU CUL etc..