rencontre internationale de fanzinothèques, Fanzinothèque de Poitiers

journée d’étude autour du fanzine et des bibliothèques de fanzines
le 14 mai 2009
lors des  20 ans de la Fanzinothèque de Poitiers

PARTICIPANTS

Robb Roemershauser (Aboveground Zine Library – Nouvelle-Orléans – États-Unis)
Andrew Campbell (Papercut Zine Library – Cambridge – USA)
Jenna Freedman (Barnard Library – New-Yofk – Etats-Unis)
Alex Wrekk (IPRC, Portland Zine Symposium – Portland – États-Unis)
Marcos Farrajota (Bédéthèque – Lisbonne – Portugal)
Gianluca Umilliacchi (Centre Bastian Contrario – Ravenne – Italie)
Edd Baldry (London Zin Symposium – Londres – Angleterre)
Isy Schultz (Cowley Club – Brighton – Angleterre)
Cécile Guillemet (Fanzinothèque de Poitiers – France)
Marie Bourgoin (Fanzinothèque de Poitiers – France)
Didier Bourgoin (Médiathèque François Mitterrand – Poitiers – France)
Iván Eixarch (Fanzinacoteka – Manzanares – Espagne)
D. Raphael Vilches (Fanzinacoteka – Manzanares – Espagne)
Teknad (Fanzine Pez – Malaga – Espagne)
David Pujol (Médiathèque associative Les Musicophages – Toulouse – France)

En remerciant  Anna, Tine et Andy pour leur participation en tant qu’interprètes.

Lors de cette journée d’étude, un état des lieux a été dressé sur le panorama du fanzine dans le monde et dans les bibliothèques. Sous forme de débats, les participants ont porté leur réflexion sur différentes thématiques touchant aussi bien à l’objet fanzine qu’à la structure fanzinothèque.

Structure et fonctionnement

Dans un premier temps et dans un souci de clarté, une présentation de chaque structure a été faite par les différents représentants.
Deux modèles se distinguent : les fanzinothèques bénéficiant d’un soutien des pouvoirs publics et qui ont la possibilité d’avoir quelques salariés (la Fanzinothèque de Poitiers via le soutien de la Mairie de Poitiers, la Barnard Zine Library de New-York qui est intégrée à la bibliothèque de l’Université de Columbia ou encore la Bedeteca rattachée à la bibliothèque de Lisbonne).
Les fanzinothèques qui s’autofinancent par le biais d’adhésions pour l’emprunt ou l’organisations d’ateliers pédagogiques et qui fonctionnent avec l’aide de bénévoles (le Cowley Club de Brighton ou la Papercut Zine de Boston).
Cela implique évidemment des disparités sur le plan matériel (locaux, outils de travail). Que ce soit dans un squat (Cowley Club de Brighton), une bibliothèque universitaire (Barnard Library), dans le département bibliothèque et archives d’une mairie (Bedeteca de Lisbonne), dans une librairie (The Aboveground Zine Library de la Nouvelle-Orléans), voire même dans une maison privée (Bastian Contrario à Ravenne), les conditions d’hébergement d’une fanzinothèque varient d’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre, selon plusieurs critères :
– ancienneté – mode de fonctionnement – moyens financiers – importance du fonds

On retrouve plus ou moins les mêmes critères pour tout ce qui touche au personnel des fanzinothèques.
Si dans certains cas la présence de salariés réussie à être maintenue (la fanzinothèque de Poitiers en compte à ce jour 5, une bibliothécaire d’ouvrages de référence à New-York avec Jenna Freedman, etc.), la grande majorité des structures, c’est-à-dire celles qui sont autogérées, fonctionnent grâce au travail de bénévoles. La formule de Gianluca Umiliacchi : « le fanzine, c’est l’art du passionné », prend ici tout son sens.

Se pose alors la question du personnel formé dans les fanzinothèques. Quid de la présence de professionnels ? De bibliothécaires ?
Car dans un soucis d’émancipation (augmentation du fonds, meilleure visibilité) et d’amélioration technique (informatisation, catalogage, politique documentaire), certaines compétences sont parfois nécessaires pour pouvoir avancer (nous verrons néanmoins dans un prochaine partie toute l’ambiguïté de cette problématique, à savoir ce rapprochement avec les institutions, liée à la philosophie du fanzinat et aux différents mouvements de pensée qui y sont rattachés).
Aux niveau des participants, seuls 3 ont une formation de bibliothécaire. Jenna Freedman de la Barnard Library (New-York), Andrew Campbell de Papercut (Cambridge) et Cécile Guillemet de la Fanzinothèque de Poitiers (France).
Verra t-on dans le futur plus de personnel formé aux métiers des bibliothèques intégrer le monde du fanzine ?
La question mérite d’être posée. Toutefois, Gianluca Umiliacchi pense que l’important n’est pas là, et insiste sur le fait qu’une formation sociale est plus appropriée.
Le débat reste donc ouvert, d’autant que de multiples paramètres d’ordre technique entrent en jeux à ce jour (gestion des fonds, catalogage, numérisation).
Concernant le type de fonds traité dans chaque établissement, le panel est varié. Certaines structures ont choisi de se spécialiser comme la Barnard Library de New-York sur le féminisme, ou le Centre Bastian Contrario de Ravenne uniquement sur l’édition italienne (faute de moyens ici il faut le reconnaître…). Beaucoup d’entre elles cependant acceptent à peu près tout ce qui se fait en matière de fanzine dans le monde, c’est le cas de la Fanzinothèque de Poitiers. »

 

Rapprochement avec les bibliothèques publiques ? Intégration au cadre institutionnel ? Les enjeux…

Sur cette question, les avis sont nuancés, notamment sur le fait que ce qui fait la particularité du fanzine, c’est justement qu’on ne le trouve pas dans le circuit de distribution traditionnel.

Mais globalement, une collaboration avec les institutions, et en particulier les bibliothèques, n’est pas à écarter d’un revers de main. Au contraire, cela permettrait de faire connaître le monde du fanzinat au grand public et par la même occasion, de s’offrir une plus grande vitrine. Néanmoins, dans l’optique de prêter des fonds aux bibliothèques, certaines conditions sont évoquées :

– l’accent est mis sur la séparation et la distinction (tant sur l’organisation de l’espace que sur la classification) afin d’être mieux identifié par les usagers et non noyé dans la masse. Cela permettrait en effet aux bibliothèques, comme le précise Jenna Freedman, de mieux discerner une partie de leurs utilisateurs. Le fanzine jouerait un rôle attractif, susceptible d’attirer un nouveau public puisque le type d’information que l’on y trouve ne se lit nulle part ailleurs.

– Une collaboration avec les bibliothèques oui, mais en ayant la garantie de conserver le réseau propre au fonctionnement du fanzine (communication/diffusion/distribution) comme le rappelle Isy Schultz du Cowley Club de Brighton.

Cette collaboration avec les bibliothèques est aussi importante en matière de conservation. Le cas de la Bédéthèque de Lisbonne en est un parfait exemple. Celle-ci étant le seul endroit où l’on puisse trouver des fanzines, mais uniquement BD, tout un pan de l’histoire de l’édition indépendante et des cultures alternatives au Portugal est pour ainsi dire perdu…On voit donc bien le rôle qu’aurait a jouer les bibliothèques dans un cas pareil.

Cécile Guillemet (Fanzinothèque de Poitiers) quant à elle, prône une certaine forme de souplesse dans cette relation. Tout dépend de la volonté des acteurs du fanzine à vouloir collaborer ou non avec les bibliothécaires et les conservateurs. A Poitiers, ce « partenariat » fonctionne pour l’instant plutôt bien avec la Médiathèque François-Mitterrand.

 

Numérique et papier

Parallèlement au développement d’internet, on a vu se démocratiser tout un tas d’outils bureautiques et de mise en page. Le côté pratique du support PDF est vu comme une bonne chose et de plus en plus utilisé par les concepteurs de fanzines. Celui-ci permettant d’élargir l’information, la diffusion et minimisant les problèmes liés à la distribution. On voit donc beaucoup de fanzines s’adonner aux deux pratiques (papier + PDF).

Andrew Campbell de Papertcut fait même remarquer que le support numérique a permis d’augmenter le taux d’emprunt des documents par l’intermédiaire des « e-zines » et de leurs catalogues de recherche.

Concernant les blogs, leur utilité est saluée (facile d’utilisation, commentaires instantanés, multiples fonctionnalités, etc.). David Pujol (Médiathèque associative Les Musicophages) leur reproche seulement leur côté périssable. Sorte de fast-food culturel dont parle Didier Bourgoin (Médiathèque François-Mitterrand), peu en phase avec l’esprit fanzine.

En définitive, tout le monde s’accorde à souligner la complémentarité des supports papiers et numériques. Ce dernier n’a pas tout dévasté sur son passage et les deux formes d’expression peuvent coexister. Le mythe selon lequel le numérique a tué le papier est donc un faux problème.

Malgré cela, des voix s’élèvent sur l’aspect « production du fanzine ». En créant un site web, une page de blog, ou en privilégiant le support PDF, c’est toute la partie matériel, historiquement liée à la conception d’un fanzine, qui se voit mis de côté.
Quand est-il de la visibilité sur le web ? Des « e-zine », très bien pour toucher plus de monde, mais encore faut-il que les gens sachent que ce genre d’information et de culture alternative existe sur le net…Sur ce terrain, quelques hypothèses ont été émises, comme celle de créer une bibliothèque de webzines (Marie Bourgoin, Fanzinothèque de Poitiers).

Parallèlement au développement d’internet, on a vu se démocratiser tout un tas d’outils bureautiques et de mise en page. Le côté pratique du support PDF est vu comme une bonne chose et de plus en plus utilisé par les concepteurs de fanzines. Celui-ci permettant d’élargir l’information, la diffusion et minimisant les problèmes liés à la distribution. On voit donc beaucoup de fanzines s’adonner aux deux pratiques (papier + PDF).

Andrew Campbell de Papertcut fait même remarquer que le support numérique a permis d’augmenter le taux d’emprunt des documents par l’intermédiaire des « e-zines » et de leurs catalogues de recherche.

Concernant les blogs, leur utilité est saluée (facile d’utilisation, commentaires instantanés, multiples fonctionnalités, etc.). David Pujol (Médiathèque associative Les Musicophages) leur reproche seulement leur côté périssable. Sorte de fast-food culturel dont parle Didier Bourgoin (Médiathèque François Mittérrand), peu en phase avec l’esprit fanzine.

En définitive, tout le monde s’accorde à souligner la complémentarité des supports papiers et numériques. Ce dernier n’a pas tout dévasté sur son passage et les deux formes d’expression peuvent coexister. Le mythe selon lequel le numérique a tué le papier est donc un faux problème.

Malgré cela, des voix s’élèvent sur l’aspect « production du fanzine ». En créant un site web, une page de blog, ou en privilégiant le support PDF, c’est toute la partie matériel, historiquement liée à la conception d’un fanzine, qui se voit mis de côté.
Quand est-il de la visibilité sur le web ? Des « e-zine », très bien pour toucher plus de monde, mais encore faut-il que les gens sachent que ce genre d’information et de culture alternative existe sur le net…Sur ce terrain, quelques hypothèses ont été émises, comme celle de créer une bibliothèque de webzines (Marie Bourgoin, Fanzinothèque de Poitiers).

 

Le fanzine : un outil pédagogique ?

Le fanzine a indéniablement une valeur pédagogique et éducative. Par le biais d’associations, il permet de se faire connaître et d’initier les autres à la pratique du fanzinat.
Deux aspects ressortent :

– un côté plus tourné vers l’enseignement : travail avec les écoles, les prisons, avec les personnes âgées, sous forme d’ateliers (lecture, écriture,…), de conférences, participation à des festivals, des salons etc. Ce côté éducatif fait parfois grincer des dents certains puristes, présentant le fanzine comme un domaine auto-publié, auto-motivé, où l’on ne juge pas et où la censure, l’enseignement et la notion de classe (au sens éducatif du terme…) n’existent pas.

– un côté plus tourné vers l’aspect artistique/création : comment fabriquer un fanzine, comment le distribuer, etc. C’est tout le travail d’Alex Wrekk (Portland Zine Symposium) avec son livre Stolen Sharpie Revolution. On retrouve ici l’esprit DIY (Do It Yourself, « Fais-le toi même ») cher à la communauté du fanzinat.

Les Symposiums de fanzine tels ceux de Portland et de Londres (une fois par an) sont des évènements importants mixant ces deux facettes : enseignement et création. Tout cela dans le but avoué de tisser des réseaux et de favoriser les rencontres.

Edd Baldry (London Zine Symposium) précise toutefois que ce caractère pédagogique du fanzine est très peu voire pas du tout développé en Angleterre.

 

Le fanzine : un objet artistique?

« Un artefact de l’époque de l’information. Quelque chose d’urbain, de populaire. »
(Isy Schultz)

« Sous le contrôle direct du producteur, pas de censure, pas de recherche de profit. »
(Marcos Farrajota)

« Je ne pense pas qu’un créateur de fanzine soit l’équivalent de ce qu’on appelle en français une œuvre d’art. »
(Edd Baldry)

« Le fanzine est une bonne école d’expérimentation et d’audace. »
(Marie Bourgoin)

« Le fanzine, c’est l’art du fanzine, ça ne va pas plus loin. »
(Gianlucca Umiliacchi)

« Le fanzine ne dépend pas uniquement des intentions de son émetteur, mais aussi de la manière dont le récepteur accueillera le message. »
(Iván Eixarch)

« Tout les fanzines quels qu’ils soient sont une communication et tous les fanzines sont de l’art. Avec la mise en garde que parfois l’art ne vaut rien. »
(Andrew Campbell)

« Le fanzine est un mode d’expression, de communication et de création à part entière, comparable à l’art. »
(David Pujol)

Le fait est que le fanzinat regroupe à lui seul plusieurs arts à la fois, il est difficile de le classer dans une catégorie bien précise.
Il n’est pas rare en revanche que certains auteurs de fanzines parviennent à ce faire éditer voire même publier, de part la qualité de leurs écrits. On peut donc légitimement dire qu’il existe une réelle qualité d’écriture, voire littéraire, dans le monde du fanzine.

 

bilan

Ce que l’on peut dire, c’est qu’il existe bel et bien un réseau, avec plusieurs communautés fanzines, même si celles-ci ne sont pas forcément visibles aux yeux de tous. Les interrogations sont multiples, et les craintes, pas forcément là où on pourrait le penser
(preuve en est avec le débat sur le numérique).
Chaque établissement, qu’il soit soutenu par un organisme, une collectivité, ou qu’il soit autonome, essaie tant bien que mal de survivre dans des environnements culturels différents et parfois difficiles (l’activité du fanzinat en Italie étant considérée comme quasi illégale).

Même si, soyons réaliste, beaucoup de travail reste à faire, notamment en terme de visibilité, on peut dire que le fanzine a acquis ses lettres de noblesse. Une deuxième phase est maintenant en marche, celle de légitimer sa place en terme de patrimoine. C’est tout le travail que réalise actuellement la Fanzinothèque de Poitiers sur le catalogage et la conservation des fonds.
A noter que le département des estampes et de la photographie de la BNF fait régulièrement l’acquisition de graphzines.
Elle en possèderait aujourd’hui environ 500.

Notons que des initiatives naissent un peu partout dans le but de fédérer et de rassembler les auteurs et les lecteurs de fanzines. C’est le cas par exemple de We make Zines (https://wemakezines.ning.com/), sorte de réseau social conçu sous la forme d’un blog et qui constitue à ce jour l’une des plus grosse plateforme de discussion sur le fanzinat.
D’autres mines d’informations existent tels The Book of Zines (https://zinebook.com/#), mettant à disposition tout ce qu’il faut savoir dans le domaine (interviews, articles, publications, etc.) ou encore ZinWiki (https://zinewiki.com/), une encyclopédie collaborative sur le fanzine.
Saluons enfin la liste de discussion réservée aux bibliothécaires de fanzines lancée par Jenna Freedman.

Florian Ligner