1983-1990, c'est la pleine
période de l'Alternatif en France ; cet
alternatif-là, contrairement aux années 70, n'est
pas que politique et social, mais avant tout artistique. L'engagement,
il est musical, on milite pour une autre musique, pour d'autres
musiques, pour d'autres démarches ; comme le proclame
l'édito du n° 1 de OUT OF
NOWHERE (Paris Février 88), un édito
en forme de manifeste pour un numéro 1 qui paraît
en kiosque après avoir été fanzine.
En réponse, et à la suite, comme un
écho moins tapageur, l'édito de ROCK
PRESS numéro 0 (Septembre 86) donne un son de
cloche assez différent, moins radical, moins
cérébral, moins exigeant aussi, plus
généraliste et pragmatique.
Les 2 témoignent de la teneur et de la diversité
des discours qui traversent et agitent le fanzinat. Ils tracent la
ligne de partage entre partisans d'une démarche
pro-artistique pure sans concession et ceux qui acceptent de se
compromettre un peu pour conquérir du public, des lecteurs,
et les amener à écouter autre chose.
Précisons que ROCK PRESS n'a
jamais été fanzine, mais certains de ses
collaborateurs (ex-fanzineurs), certains de ses choix, ses contenus et
sa distribution (voir plus loin) l'en rapprochent.
"Il ne s'agit pas d'être à la mode. Il ne s'agit
pas d'être branché. Il ne s'agit pas
d'être élitiste, pas plus qu'il ne s'agit de
"valoriser" le "rock". Il s'agit de parler de ceux qui parviennent
encore à créer, à être
fidèles à eux-mêmes.
"Nous sommes si jeunes, nous ne pouvons pas attendre "
Alors, RÉAGISSEZ face au magma insipide, tiède et
incolore que produit inlassablement une industrie du disque - bien
épaulée par l'ensemble de la presse "rock" - dont
les artères se durcissent, et qui, commercialement comme
artistiquement, refuse de prendre le moindre risque se
réfugie dans un passé aseptisé (le son
parfait de "Sergeant Pepper" en CD), restitue une version appauvrie et
tempérée de la "passion enflammée" des
sixties, dont les éléments d'extases ont
été lessivés, devenant un banal
médium de "communication" - la simplicité
étant de rigueur que le "message" soit "We are the World" ou
"I want your sex".
Ce qui nous intéresse : la création non
travestie, inspirée plus par les rêves, les
fêlures, que par un désir de gloire ou de profit.
Nous rejetons la vision dominante, limitée et limitante, de
"l'humain" : le sujet équilibré, maître
conscient de sa destinée, entier et autonome ; nous
insistons sur la réalité - la
nécessité - du manque et du blocage, du
traumatisme, de l'insatiabilité. C'est là que
nous voulons situer notre "engagement" : notre conception de la musique
est liée à notre conception de l'être
humain, à sa fonction d'animal social, à son
rapport à l'autre. A-journalistiques et a-commerciaux (par
la force des choses), nous vous proposons ce numéro Un ;
nous avons essayé, avec des moyens et une structure
ridicules comparés au blitzkrieg Rolling Stonien, de nous
lancer... La suite dépend de vous."
"Enfin nous voila !
Il fallait s'attendre à ce qu'on débarque...
En matière de presse le rock est servi diversement en
France, ou pour citer deux extrêmes : d'une façon
pompeuse dans les magazines, anarchique ou hermétique dans
les fanzines. Les uns manifestement ultra-commerciaux et monolithiques,
les autres alternatifs ou pour le moins intégrés
à un ou plusieurs réseaux
indépendants...
Laissons à chacun le soin d'explorer sur son terrain les
tendances musicales les plus diverses. Reste qu'une frange importante
du public lit peu ou ignore carrément la presse rock
à cause de cette dichotomie dans laquelle elle ne se
reconnaît pas ; ce au détriment des productions
indépendantes qui ne bénéficient pas
d'un support médiatique omniprésent.
Il n'en demeure pas moins que tout ce qu'elles engendrent,
scènes locales et régionales, nouveaux et
réseaux de distributions parallèles,
témoigne d'une culture musicale originale et de
qualité qui ne se limite pas aux charts des plus belles
radios.
Valoriser les productions alternatives et les nouveaux labels musicaux,
(qui soit dit en passant ont bien souvent plus de crédit
à l'étranger qu'ici), promouvoir les
scènes régionales, tel est le but que se fixe
ROCK PRESS.
Il ne s'agit pas d'atteindre un juste milieu dérisoire, mais
d'acquérir une maturité médiatique qui
nous fait cruellement défaut et conquérir un
public à la dérive.
Ce numéro 0 est sans prétentions et
préfigure un mensuel à vocation
régionale ; cependant nous voulons manifester
déjà un souci premier d'ouverture à
toutes les musiques rocks et actuelles, quel qu'en soit le lieu
originel.
A bon entendeur, salut ! "
Gougnaf, Closer, Bondage, Boucherie, Black & Noir, Visa, Chaos
en France, Bunker Record, Jungle Hop, GMG, Lolita, Bain Total, Sordide
Sentimental, Disques du Soleil et de l'Acier, Front de l'Est, Spliff
pour les labels, Bérurier Noir, OTH, Parabellum, City Kids,
Étant Donnés, Clair Obscur, Pacific 231, les
Coronados pour les groupes ;
c'est la déferlante ; tout s'accélère
et s'emballe. 83-90 c'est la date de vie et de mort de
Bérurier Noir.
Un mouvement pas toujours très cohérent et
solidaire émerge, littéralement porté
par une petite presse active, nerveuse et
généreuse ; un fanzinat qui semble assez
rapidement prendre conscience de lui-même, de son existence,
de son importance, de sa force. Des réseaux se constituent,
des associations, des lieux de concert, tout le monde fait un peu de
tout, production, diffusion, communication. L'effervescence est
partout. La qualité est souvent au rendez-vous ;
l'information et l'esprit critique aussi.