Un peu de définition pour commencer. Garage c'est
pour rock garage, terme générique qui regroupe
des courants musicaux assez proches dans leur vision du rock ("du rock
avec de vraies guitares et de vraies mélodies") ; ils sont
connus sous différentes appellations : U.S punk 60's,
psychedelic 60's, psychedelic punk, et différents avatars et
revivals : garage punk 80's, rock australien.
U.S punk 60's : c'est le rock américain de 64 à
68. "Partout, de Chicago à Londres, de Frisco à
Dallas, des gamins rejouaient avec un son pourri et dans leurs garages
les classiques du rythm'n'blues avec encore un peu plus de fureur,
d'outrage que leurs prédécesseurs. Des punks,
avec les mêmes yeux fous, la même
déglingue adolescente que les Damned, Clash ou autres
Generation X; seule l'époque change,
on est entre Berkeley (1964) et Mai 68." (Jack the Ripper - Vibrations
n° 1 1983).
Les groupes : Sonics, Electric Prunes, Standells, Trashmen, 13th Floor
Elevators, Pretty Things. Plus récemment encore ce sont :
Fleshtones, Barracudas, Chesterfields Kings, Real Kids et pour les
français Dogs, Marc Minelli, Playboys, les
Calamités, Kingsnakes etc..
Le "garage rock" avec ses groupes,
ses fanzines, ses réseaux a toujours
été un genre très vivace, un peu
fermé et un peu à part. Là s'exprime
le côté exclusif et bien peu sympathique du fan :
celui qui se prétend le gardien farouche d'un temple
sacré qui ne doit pas être souillé, le
gardien d'une musique qu'il fige à grands coups de visions
bien souvent réductrices (Y'a que ce que j'aime qui est bien
; si t'aimes pas ce que j'aime, tu connais rien), un fan hostile
à tout compromis ou ouverture musicale.
A côté des deux "grands" que sont
NINETEEN et TQADR, nous
évoquerons FUN, LOSERS, SHADOWS &
REFLECTIONS, PSYCHOTIC REACTION, AUSTRALIAN ROCK, FRISSONS.
Citons aussi au passage VIBRATIONS, ZOOLOO BUT DANDY, CREEPY CRAWLY (dédié aux Meteors),
WHO'S BEHIND THE MASK (voué aux
Cramps), THRILLS, BOSS, STACCATO.
Patrick Soubielle, collectionneur de disques et Jean-Marc Peltier,
ex-manager des Dogs créent FUN au Havre en 80 ; pas
étonnant puisqu' avec Toulouse, Le Havre a
été le bastion du garage en France.
"Le Havre, ce Détroit français clamait-on dans
Rock & Folk ; il s'est vraiment passé quelque chose
de magique : un réel engouement urbain pour le rock,
respectueux des racines : de Cochran aux Stooges via Brian Jones. En
1977 on voit au Havre : Ramones, Flammin' Groovies, Feelgood, Hot Rods,
Damned, Stranglers." (Jean-Marc Peltier)
FUN est sans doute le plus ancien zine français du genre, en
81 Jean-Marc Peltier déclare encore : "FUN a une passion :
l'autoproduction. Nous sommes heureux quand un groupe
réussit à sortir par ses propres moyens une
rondelle, il en est de même pour les feuilles
parallèles."
En 84 FUN était imprimé à 2000
exemplaires par l'imprimerie de la mairie du Havre.
Sous-titré : "rock'n'roll garage fanzine ", un des rares
zines de l'époque à faire dans le luxe et le
gratuit (mazette) : imprimé, papier glacé,
couverture couleur, intérieur noir et blanc, maquette
classieuse, rédactionnel souverain, régie
publicitaire, superbes photos originales de Jean Cataldo, sommaires en
béton : Cramps, Vipers, Fleshtones, Barracudas, Coronados,
Johnny Thunders, Shakers... De quoi faire un joli magazine
spécialisé qui n'a jamais vu le jour.
Encore un allumé des 60's. Un seul numéro paru
à notre connaissance. C'est l'esprit "teenager" dans sa plus
pure expression : la scène allemande (celle qui accueillit
les Beatles en 62), la mode vestimentaire de la "Swingin' London"65-67
: Carnaby Street, le costume rayé et la coupe de cheveux de
Brian Jones, collants en dentelle, minijupe mauve et verte ; une
bio-discographie d'un chanteur oublié : Giorgie Flame, un
article sur Unclaimed et Chocolate Watchband (San
José 1965).
Vive les jeunes ivres des pépites : les "nuggets" (27 perles
vinyliques compilées par Lenny Kaye, raretés
psychotiques, pochettes psychédéliques).
Aux antipodes de LOSERS, "PSYCHOTIC REACTION est le type même
du fanzine : peu de moyens, beaucoup d'affection pour les groupes dont
il parle, des infos inédites, des articles de fond." (David
Dufresne dans TQADR)
"Nous sommes pour l'instant dans l'impossibilité de
prévoir une périodicité."
"Non, le ROCK n'est pas mort ! Il est même bien vivant ! Il
n'est plus américain ou anglais, il est AUSTRALIEN !!
Car il ne pousse pas que des kangourous dans ce pays, il pousse des
dizaines, des centaines de groupes, tous plus excitants les uns que les
autres !
Cette explosion pourrait ne rester qu'une implosion, si certains
allumés du rock (dont je fais partie) ne remuaient ciel et
terre pour faire connaître au monde ce formidable
élan, cette vague de fond prête à nous
engloutir sous un déluge de FUZZ et un BEAT d'enfer...
Vous aimez LE ROCK ? Le vrai ? Celui qui fleure bon le PSYCHEDELIC
PUNK, et que les SONICS, pour ne citer qu'eux, savaient si bien
exprimer ? Alors sautez sur l'occasion de découvrir le futur
du ROCK ! Sur les traces de RADIO BIRDMAN, laissez-vous consumer par
l'énergie brute !
Demain, il sera trop tard et vous qui aurez saisi la balle au bond,
vous serez montrés en exemple !
N'attendez plus, foncez chez tous les disquaires de votre ville, et
menacez-les de mort s'ils ne vous procurent pas ces merveilleux disques
que vous devez posséder. Ensuite, éclatez-vous et
surtout, parlez-en autour de vous pour que vive THE AUSTRALIAN ROCK! "
(Gilles Moreau)
Travail encyclopédique et cyclopéen qui
mérite d'être relevé. Gilles Moreau a
oeuvré pour le plaisir de la pure érudition. Ce
trimestriel passionnant et passionné est indispensable pour
les fans du genre. Une démarche
d'exégète comme il en arrive parfois dans le
fanzinat. En sus, Gilles s'offre le luxe de publier en 87 un opuscule
de 54 pages recensant quelques 36 groupes frenchies avec : les Dogs,
Thugs, Kingsnakes, Parabellum, Coronados, Roadrunners etc..
"Le rock est-il une musique élitiste ou une folie teenage
passagère ? Le rock est bien plus que cela, un
état d'esprit, une culture, pas seulement un tempo, binaire
rabâché, ou bien une danse
poussiéreuse. L'heure est grave, nos vieux supports mensuels
nous ont lâchés définitivement, une
alternative s'impose..." (Onc'Kryptik -Octobre 86)
Onc' Kryptik (alias Patrick Gioux) ouvre en ces termes les pages de FRISSONS
n° 1, rejeton plus présentable que son
prédécesseur THRlLLS (le
titre en est d'ailleurs la traduction française).
Présentable il le sera : bien imprimé et
couverture couleur et trimestriel sous-titré : "Rock, BD,
mauvais goût and roll", le n° 2 est
dédié à Edgar P. Jacobs et Andy Warhol
(tous les deux morts en 87) "bienvenue à eux dans le monde
des zombies".
FRISSONS c'est Primevals, Cramps, Sinners, Boy Scouts, Shifters,
Fuzztones, Real Cool Killers, Lovercraft, Charles Burns, Pinelli
(dessinateurs) au menu. Et c'est aussi bien écrit !
FRISSONS sacrifie souvent au petit rituel des "blind-test" pour
éprouver les connaissances vinyliques de nos chers rockers.
"FRISSONS veut faire son truc à lui ; arriver à
concilier concision et énergie, passion et retenue, critique
et embrasement. Bref l'esprit des fanzines dans le corps d'un
mégazine."