6 - FROIDES, POLAIRES ET CRYPTIQUES

Plutôt arbitraires, peu satisfaisants, ces 3 qualificatifs voudraient arriver à circonscrire des musiques difficiles à cerner. Un ensemble qui recouvre des courants assez distincts, voire opposés.

Les uns sont issus du post-punk comme la cold wave, le batcave, le gothic ; ce sont des musiques à guitares à l'organisation scénique finalement assez proche du rock (Pil, Bauhaus, Virgin Prunes, Sisters of Mercy, Siouxie and the Banshees).

Les autres relèvent plus de l'expérimentation, de la performance, ils sont par nature, et de la volonté même de leurs créateurs a-musicaux, voire anti-musicaux. Ils plongent dans une tradition plus ancienne que le rock ; on y utilise des bandes sonores, des synthétiseurs : c'est l'industriel, les bruitistes (Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire, Psychic TV, Einsturzende Neubauten...).

3ème courant, les musiques dites électroniques, la techno, pas celle d'aujourd'hui, mais celle de Kraftwerk, Ultravox, Skinny Puppy, Front 242 etc., froide et non dansante.

Finalement ce qui les rapproche n'est pas, on le comprendra, de l’ordre du sonore, mais du paraître et du discours : élitisme, intellectualisme et cérébralité, théâtralité, esthétisme "froid" et contemplatif, affichés.
Il y a aussi ce refus d'être "accessible" ; ce souci de rester "cryptiques" (cachés jusqu'à l'obsessionnel) ; cette recherche de "l'obscurité" pourrait-on dire (un fanzine reprendra d'ailleurs ce concept dans son titre).

Ce qui réunit aussi ces musiques "froides, polaires et cryptiques" ce sont les sommaires des 3 titres présentés ici. Ces revues / zines traitent conjointement de cold / indus / techno.
Examinons donc de plus près ROCK DANS L'OBSCURITE, NEO, ESPOIRS EPHEMERES.
On peut se reporter aussi à ENTROPIE, EUROPA, KUNST, CANOË, DISSONNANCE.

En 1988 OUT OF NOWHERE, apôtre de ces musiques trouve la voie en kiosque et la distribution en NMPP.


rock dans l'obscurité
ROCK DANS L'OBSCURITE

Stéphane Cuyle et Pascal Lefevre lancent ROCK DANS L'OBSCURITE en Janvier 83.
Étonnant par sa forme, ce petit mensuel format A5 au prix plus que modique (3/4F) est photocopié pendant les 19 numéros (la qualité des copies étant au demeurant fort moyenne). L'aspect restera très underground ;
Stéphane Cuyle mettra 9 mois et 7 numéros pour trouver un sous-titre - plutôt bancal - à son fanzine : "promotion et information de la musique actuelle à caractère indéfini..."
Les points de suspension nous laissent-ils deviner suffisamment la suite ou les sous-entendus? Il s'exprime plus clairement dans le n° 8 : "la musique que nous traitons dans ce fanzine est telle que nous la ressentons ; elle peut être émotionnelle, agressive ou morbide, selon les situations dans lesquelles nous nous trouvons."
Sympathique, un peu ingénu et pas borné du tout, il s'auto-proclamera également "alternatif". Et c'est tant mieux.


neo
NEO
(Paris)
6 numéros 83-84


Autre titre, autre ton.
Avant même d'être aspiré par un contenu plutôt fourni NEO accroche par sa mise en page soignée, élaborée et très personnelle ; la recherche typographique ordonne la page, l'organise, une harmonie glacée en noir et blanc. Un joli objet.
Le Berlin des années 20 plane ; il est question par moment de promotion de la musique européenne : Trisomie 21 (dans le numéro 0) : "nous ne supportons pas les cloisonnements artificiels (groupe de Lille, groupe français). La Belgique, la Hollande font partie d'une certaine Europe du nord. Nous ressentons d'avantage ce concept que celui de notre pays. Notre rock est avant tout un rock d'Europe moderne."
Moderne, le mot est lâché, il revient hanter les pages de NEO comme celles de GLORIA à la même époque ; mais ce "regard moderne" de NEO sur l'actualité musicale, le cinéma, il est plus froid, plus distant.
Marc Seberg publie les textes de ses morceaux. La tendance est plus cold/new wave qu'industriel. On rencontre même parfois OTH, La Souris Déglinguée et Brigades.


espoirs ephemeres
ESPOIRS EPHEMERES
(Lille/Courbevoie)
11 numéros 87-92


A l'opposé des autres revues "froides et cryptiques" dégagées de l'exercice périlleux de l'engagement, ESPOIRS EPHEMERES a plutôt une position d'implication dans un schéma "alternatif-combattant" ; ce que ESPOIRS EPHEMERES appelle une "revendication fanzinesque".
Le fanzine souhaite participer à la création d'une scène indépendante complète (création, diffusion, promotion, salles, organes de distribution) en France. C'est pour cela qu'il multiplie dans ses colonnes les ouvertures vers les autres structures indés : informations et contacts sont classés, calibrés, quantifiés, disséqués et compilés pour être plus efficace.
Oui, ESPOIRS EPHEMERES s'attache à l'image qui se doit d'être "le complément visuel des musiques évoquées", oui, le fait de baptiser chaque numéro d'un prénom féminin mythologique (Perséphone, Lorelei, Pandora) témoigne d'une préciosité un peu complaisante.
Mais ESPOIRS EPHEMERES affirme aussi qu'il est temps que l'alternatif sorte de son ghetto, se fasse entendre et lire !
Certes ESPOIRS EPHEMERES évolue vers un aspect plus magazine, mais "dans un sens seulement : celui d'un certain "professionnalisme amateur" que nous voulons de qualité tout en restant fanzine". Démarche exemplaire.