Plutôt arbitraires, peu satisfaisants, ces 3
qualificatifs voudraient arriver à circonscrire des musiques
difficiles à cerner. Un ensemble qui recouvre des courants
assez distincts, voire opposés.
Les uns sont issus du post-punk comme la cold wave, le batcave, le
gothic ; ce sont des musiques à guitares à
l'organisation scénique finalement assez proche du rock
(Pil, Bauhaus, Virgin Prunes, Sisters of Mercy, Siouxie and the
Banshees).
Les autres relèvent plus de l'expérimentation, de
la performance, ils sont par nature, et de la volonté
même de leurs créateurs a-musicaux, voire
anti-musicaux. Ils plongent dans une tradition plus ancienne que le
rock ; on y utilise des bandes sonores, des synthétiseurs :
c'est l'industriel, les bruitistes (Throbbing Gristle, Cabaret
Voltaire, Psychic TV, Einsturzende Neubauten...).
3ème courant, les musiques dites électroniques,
la techno, pas celle d'aujourd'hui, mais celle de Kraftwerk, Ultravox,
Skinny Puppy, Front 242 etc., froide et non dansante.
Finalement ce qui les rapproche n'est pas, on le comprendra, de
l’ordre du sonore, mais du paraître et du discours
: élitisme, intellectualisme et
cérébralité,
théâtralité, esthétisme
"froid" et contemplatif, affichés.
Il y a aussi ce refus d'être "accessible" ; ce souci de
rester "cryptiques" (cachés jusqu'à
l'obsessionnel) ; cette recherche de "l'obscurité"
pourrait-on dire (un fanzine reprendra d'ailleurs ce concept dans son
titre).
Ce qui réunit aussi ces
musiques "froides, polaires et cryptiques" ce sont les sommaires des 3
titres présentés ici. Ces revues / zines traitent
conjointement de cold / indus / techno.
Examinons donc de plus près ROCK DANS
L'OBSCURITE, NEO, ESPOIRS EPHEMERES.
On peut se reporter aussi à ENTROPIE, EUROPA,
KUNST, CANOË, DISSONNANCE.
En 1988 OUT
OF NOWHERE, apôtre de ces musiques
trouve la voie en kiosque et la distribution en NMPP.
Stéphane Cuyle et Pascal Lefevre lancent ROCK
DANS L'OBSCURITE en Janvier 83.
Étonnant par sa forme, ce petit mensuel format A5 au prix
plus que modique (3/4F) est photocopié pendant les 19 numéros (la qualité des copies étant
au demeurant fort moyenne). L'aspect restera très
underground ;
Stéphane Cuyle mettra 9 mois et 7 numéros pour
trouver un sous-titre - plutôt bancal - à son
fanzine : "promotion et information de la musique actuelle à
caractère indéfini..."
Les points de suspension nous laissent-ils deviner suffisamment la
suite ou les sous-entendus? Il
s'exprime plus clairement dans le n° 8 : "la musique que nous
traitons dans ce fanzine est telle
que nous la ressentons ; elle peut être
émotionnelle, agressive ou morbide, selon les situations
dans
lesquelles nous nous trouvons."
Sympathique, un peu ingénu et pas borné du tout,
il s'auto-proclamera également "alternatif". Et
c'est tant mieux.
Autre titre, autre ton.
Avant même d'être aspiré par un contenu
plutôt fourni NEO accroche par
sa mise en page soignée, élaborée et
très personnelle ; la recherche typographique ordonne la
page, l'organise, une harmonie
glacée en noir et blanc. Un joli objet.
Le Berlin des années 20 plane ; il est question par moment
de promotion de la musique européenne
: Trisomie 21 (dans le numéro 0) : "nous ne supportons pas
les cloisonnements artificiels (groupe de
Lille, groupe français). La Belgique, la Hollande font
partie d'une certaine Europe du nord. Nous
ressentons d'avantage ce concept que celui de notre pays. Notre rock
est avant tout un rock d'Europe moderne."
Moderne, le mot est lâché, il revient hanter les
pages de NEO comme celles de GLORIA à la même
époque ; mais ce "regard moderne" de NEO
sur l'actualité musicale, le cinéma, il est plus
froid, plus
distant.
Marc Seberg publie les textes de ses morceaux. La tendance est plus
cold/new wave
qu'industriel. On rencontre même parfois OTH, La Souris
Déglinguée et Brigades.
A l'opposé des autres revues "froides et cryptiques"
dégagées de l'exercice périlleux de
l'engagement, ESPOIRS EPHEMERES a
plutôt une position d'implication dans un schéma
"alternatif-combattant" ; ce que ESPOIRS EPHEMERES appelle une
"revendication fanzinesque".
Le fanzine souhaite participer à la création
d'une scène indépendante complète
(création, diffusion, promotion, salles, organes de
distribution) en France. C'est pour cela qu'il multiplie dans ses
colonnes les ouvertures vers les autres structures indés :
informations et contacts sont classés, calibrés,
quantifiés, disséqués et
compilés pour être plus efficace.
Oui, ESPOIRS EPHEMERES s'attache à l'image qui se doit
d'être "le complément visuel des musiques
évoquées", oui, le fait de baptiser chaque
numéro d'un prénom féminin
mythologique (Perséphone, Lorelei, Pandora)
témoigne d'une préciosité un peu
complaisante.
Mais ESPOIRS EPHEMERES affirme aussi qu'il est temps que l'alternatif
sorte de son ghetto, se fasse entendre et lire !
Certes ESPOIRS EPHEMERES évolue vers un aspect plus
magazine, mais "dans un sens seulement : celui d'un certain
"professionnalisme amateur" que nous voulons de qualité tout
en restant fanzine". Démarche exemplaire.