I. PERMANENCES : CONSOLIDATION ET MATURITE

1er POINT

Même si le fanzinat est par nature une presse en mouvement éphémère et donc difficile à capter ; on peut néanmoins remarquer une relative stabilité ; stabilité dans le nombre de titres : 400 à 450 ont été dénombrés par la Fanzinothèque à chacun de ses recensements bi-annuels depuis 1992 ; stabilité également dans le renouvellement : environ 30% de titres disparaissent dans une année alors qu'une centaine voient le jour.

2e POINT

Quelques titres nés avant 91 émergent du lot, persistent et signent ; de nouveaux venus s'installent dans la durée.
L'évolution des techniques (informatique et reprographie) permet un saut qualitatif énorme. Ils paraissent tout de suite bien imprimés, bien maquettés, avec une maturité rédactionnelle surprenante.
Leur existence trouve une justification dans l'exploitation et l'éclatement du rock et des musiques qui les entourent : on a plus que jamais besoin d'écrire ou de lire sur des groupes, de s'informer sur les concerts, les sorties discographiques etc... La matière existe.
Ils sont les "Rolls Royce" dans leur catégorie, beaux, costauds et réguliers. Ils tirent entre 1000 et 2000 exemplaires.
Rassurons-nous les "faits-maison" sont encore légion, la moyenne de leur tirage est invariable : autour de 300 exemplaires / le numéro.


REVUE DE PRESSE ET SELECTION :

abus dangereux
ABUS DANGEREUX
(Montauban)
52 numéros depuis 87


Pour ceux qui l'auraient oublié ou tout bonnement l'ignorent, et s'étonnent de trouver dans ABUS DANGEREUX des sommaires très larges, rappelons que dès le départ ABUS DANGEREUX s'est positionné comme un "fanzine de rock indépendant généraliste". Rock garage et rock australien, alternatif français, cold wave et pop cohabitent déjà dès les premiers numéros : Parabellum, Fixed Up, Dazibao, Dead Can Dance.
Outre l'éclectisme musical, un pli est pris dès le départ, c'est celui de parler aussi bien de la scène hexagonale en pleine effervescence que d'insignes étrangers. (New Christs, Hudu Gurus, face N).
Au lieu d'utiliser la numérotation décimale conventionnelle des périodiques, nos 5 joyeux (-ses) drilles baptisent leur premier numéro face A en amoureux du vinyl qu'ils sont (numérotation encore en vigueur maintenant sinon que la face 27 a succédé à la face Z).
L'année du bicentenaire germe l'idée d'inclure un 45 t inédit au numéro (TQADR, NINETEEN l'avaient déjà fait avant eux).
La face M inaugure un changement de format (le A5 devient A4), de mise en page (plus claire) et d' impression (offset). On avance !!
Nouveau virage : face W, nouveau saut qualitatif : la couverture est désormais en papier glacé. Exit le 45t, qui est remplacé par un mini CD.
Anticipant sur les critiques et réflexions de leurs détracteurs ("Abus Dangereux creuse la tombe du disque vinyl et s'associe à la monstrueuse arnaque commerciale du CD"), ABUS DANGEREUX vante les qualités du CD, son côté pratique ; il est temps de s'adapter aux contraintes du marché.
Un cap est franchi.
Juin 1992. ABUS DANGEREUX a déjà intégré les nouveaux courants musicaux hardcore, grunge, etc.. (Cop Shot Cop est chroniqué en octobre 92, Silverfish interviewé en décembre de la même année). Vicious Circle est créé pour organiser la VPC ; il deviendra vite un label de production.
1993 : "une bonne année contre tous les sectarismes musicaux". Et un premier maxi CD des Straw Dogs. (face 31).
Grosse question de l'année 94 (face 37) " l'alternative d'une scène indépendante forte est-elle une utopie ? Il y a des moyens ici, dans ce pays, pour exister sans le "soutien" des majors et structures officielles".
Avril 97: 10 ans d'ABUS
Coup de chapeau bien mérité pour 10 ans activités forcenées, et sa contribution à la cause du rock qui est considérable. La reconnaissance du milieu leur est définitivement acquise. Mais il reste beaucoup à faire.
ABUS DANGEREUX démultiplie encore ses activités (boutique de disques en septembre 97).
Mais où s'arrêteront-ils?
Abus raconte l'histoire de ses 10 ans dans la face 51.


hyacinth
OCTOPUS/ HYACINTH
(Pont à Mousson/Paris)
13 numéros 89-93
(Paris) 6 numéros depuis 94


OCTOPUS a ceci de commun avec ABUS DANGEREUX, c'est qu'ils partagent tous les deux une vision farouchement indépendante des musiques qu'ils défendent ; leur vision est élevée, franche et résolue.
Car c'est bien de défense et d'illustration dont il est question ici.
Ce qui les rapproche : l'apparence professionnelle des deux titres (fond et forme), leur non-distribution en kiosque.
OCTOPUS met plus l'accent sur une mise en page raffinée ; sa périodicité élastique le rend moins sensible à l'actualité qu' ABUS DANGEREUX qui lui est bimestriel.
De HYACINTH, musical, graphique, d'aspect plus underground, et après un changement d'équipe, OCTOPUS a conservé l'esprit, la vigueur, la verve et l'enthousiasme éclairé et "militant".
Ce projet est ambitieux, exigeant et personnel : "c'est peut-être le refus de se forger une identité ferme et définitive qui finit justement par devenir notre ... identité première. (OCTOPUS n° 5 - automne 96)

Dans l'édito du numéro 1 : "après 3 années de travail fructueux au sein du fanzine HYACINTH, une partie de ses rédacteurs d'origine s'investissent donc dans ce nouveau projet, OCTOPUS. Guidée par la passion de la musique, et intéressée plus particulièrement par l'actualité indépendante internationale, l'équipe d'Octopus désire contribuer activement au développement de scènes musicales peu médiatisées en France. Couvrir une grande variété de genres, à travers une multitude d'approches, tel est notre premier objectif.
Cette détermination ne saurait pourtant s'affranchir d'une ligne de conduite qui, en cette période de récupération économique et médiatique, parait primordiale : l'indépendance. L'indépendance, synonyme d'intégrité (et non d'intégrisme), est le cordon ombilical liant chaque contributeur à cette publication.
L'indépendance encore, comme catalyseur de la créativité, nous offre la liberté que n'autorisent pas les institutions du "milieu". Octopus veut inscrire son action dans la durée et espère transmettre son virus au plus grand nombre. La curiosité et les initiatives personnelles font partie de ces ressources vitales qui en garantissent l'impact. Conscient de
mutations structurelles et musicales permanentes, ce fanzine évoluera au gré de ses découvertes et des suggestions que pourront lui faire toutes les personnes intéressées par les mêmes causes."

Au fil de ses numéros OCTOPUS s'aventure et explore à chaque fois des territoires nouveaux très éloignés du rock ; son regard est acéré. Son approche se situe bien au-delà des ordinaires clivages musicaux. Pourrait-on parler d'une "avant- garde" de la critique musicale. Ici on défriche...
En tout cas, OCTOPUS rejoint les centres d'intérêt et les préoccupations de REVUE ET CORRIGEE et du fanzine ONIRIC : nouvelles musiques, musiques innovatrices.
Sinon on sent le plaisir d'emmener le lecteur à la découverte d'artistes, de sphères aux individualités marquées, de le désarçonner aussi par ses choix très divers. Appétit et curiosité sont grands. "Il faudra bien réhabiliter l'improvisation comme une nouvelle frontière".
Défrichage et recherche ; improjazz, fluxus, ambient, world ; les étiquettes paraissent bien démodées au regard des artistes présentés : Philip Glass, Arto Lindsay, Foetus, Jan Garbarek, Gavin Bryars.


larsen
LARSEN (zine non consultable)
(St Alban Leysse)
12 numéros depuis 92


Cry Babies, Roadrunners, Greedy Guts, Gorgons, Lyres... LARSEN se place sous les auspices de TQADR.  Son petit format (CD) carré qui tient dans la main est tout entier imprégné de rock'n'roll sauvage, instinctif passé présent et futur.
130 pages d'anthologie rock'n'rollesque à chaque livraison : c'est l'exploit de Denis Oliveres
animateur du label du même nom (Slow Slushy Boys, Flan System, Juanitos, Jekylls Boys)
discographies, biographies, dossiers, la veine du garage-punk, du fuzz est inépuisable. Paradis des joyeux garagistes et allumés, la Savoie (d'où est originaire LARSEN) c'est l'autre pays du garage.


kérosène
KEROSENE
(Nancy)
5 numéros depuis 95


Ce fanzine fort sympathique, qui tire plus à 500 qu'à 1000 exemplaires est l'exemple même du petit fanzine récent et très bien fait. Une conception artisanale qui lui réussit bien.
KEROSENE prétend "ratisser large" ; une stratégie pour (dit-il) "proposer des groupes assez connus et par là attirer l'attention sur les petits". Louable intention.
Honnête, documenté, légitime, KEROSENE a une vraie démarche de fans et une passion réelle pour les groupes interviewés : Burning Blind, Seven Heads, Girls against Pack, Six Bastard.
KEROSENE affiche tout de même un léger penchant pour le hardcore mélodique hexagonal.
On attend la suite.


Les autres : DIG IT !, WORST, VACARMES 

Existent toujours : PREMONITION, EARQUAKE, ON A FAIM !


3e POINT

Le fanzinat, vivier créatif génère toujours des magazines. Voici deux exemples de fanzines notoires propulsés en kiosque, après (coïncidence des dates) 10 numéros et 4 ans passés au coeur de la presse de 91 à 94.
Le passage en kiosque n'est que le prolongement logique d'un activisme forcené qui avait atteint ses limites dans le fanzine. Ils sont le reflet de deux tendances bien distinctes dans le rock.

magic mushroom
MAGIC MUSHROOM
(Paris)
10 numéros 91-94


Esthétique et musiques "inrockuptibles" continuent à faire des émules. Ce champignon magique reflète bien l'esprit et les préoccupations d' une génération de jeunes gens baignés de pop anglaise, noise américaine, et d'un soupçon d'électronique européenne. D'emblée MAGIC MUSHROOM opte pour l'offset et l'épaisseur (70 pages) ; la mise en page stylée, la couverture en quadrichromie viendra ensuite très vite.
Écriture rigoureuse et parfaitement maîtrisée, et érudition remarquable pointent à chaque page ; ces gens-là savent vraiment de quoi ils parlent.
Leurs "suppléments détachables" (qui persisteront dans la formule magazine) sont des petites merveilles de documentation et de recherche, minutieux et passionnés : travaux archéologiques aux sources de la pop anglaise (création), histoire des labels factory, 4AD, des groupes Felt et The Fall. Les Français ne sont pas oubliés : Rosebud et Lithium auront les honneurs de leurs colonnes.
En 1994 MAGIC MUSHROOM déclare : "l'alternative à la corporation établie ne s'est jamais aussi bien portée".
MAGIC MUSHROOM devenu Magic ! saura trouver sa place en kiosque.



JADE
(Montpellier)
10 numéros 91-94


JADE bédé rock? JADE rock bédé ? JADE plus bédé que rock. Ils ne sont pas si nombreux à croire depuis METAL HURLANT que bande dessinée et rock, c'est suffisamment proche pour se partager la une d'un magazine.
Et encore, depuis METAL, les choses ont beaucoup changé ; ce sont des jeunes auteurs inconnus au bataillon qu'on hésite pas à faire voir.
Ce qui est sûr, c'est que JADE s'amuse bien à faire JADE - c'est frais, fait avec beaucoup d'humour et de dérision.
Ses choix musicaux ne sont pas fixés ; JADE interviewe et chronique tout ce qui lui plaît, au petit bonheur la chance, au gré des goûts de ses rédacteurs. Ca donne Litfiba, Cramps, Gallon Drunk, Toy Dolls , Pascal Comelade, Screamin'Jay Hawkins.
En kiosque depuis 2 ans pile, JADE manifeste plus (et ça paraît paradoxal) de velléités underground.